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Et pour cause : le tableau vend du rêve. Imaginez Laurent Garnier, Paula Temple, Oliver Lamm (The Drone/Libération), Adrien Betra (l’un des responsables de Surpr!ze – Concrete, Weather Festival–) et Pierre-Marie Oullion (programmateur des Nuits sonores) dissertant joyeusement sur la musique électronique. Le tout mené de main de maître par David Brun-Lambert (journaliste, co-auteur de la bio de Laurent Garnier, Electrochoc).
Instructive, copieuse et bien rythmée, cette conférence, bien que davantage rivée au présent qu’à l’avenir, méritait amplement d’être retranscrite, ne serait-ce que pour les regards aussi variés qu’acérés des intervenants, et pour leur connivence avec l’auditoire. Retour sur la conférence « 2025 : Une révolution après la techno ? » qui s’est déroulée le 16 décembre à la Gaité Lyrique, dans le cadre de l’European Winter Lab Forum.
Révolution ou évolution ?
L’emploi du terme « révolution » implique la destruction du modèle. Si une révolution musicale venait à naître, la techno serait de fait amenée à péricliter – ce qui ne déplairait pas du tout à Laurent Garnier, bien au contraire. Le terme, à utiliser donc avec des pincettes, est, dès les premières minutes de la discussion, remis en question par Oliver Lamm.
Selon le journaliste, il s’agit plutôt « d’une évolution qui aujourd’hui connait une explosion, et de laquelle est née une saturation ». Toujours d’après le journaliste de Libération et de The Drone, la question qu’il faudrait plutôt se poser est la suivante : “La techno représente-t-elle encore la société ?”
Pour Laurent Garnier, la techno est déjà une musique du passé. En dépit de l’incontestable fait que la techno est omniprésente, cette musique n’a pas connu de grands bouleversements depuis sa création.
Il développe : “Il n’y a pas eu de grande révolution depuis quinze ans, et je n’ai pas l’impression que cette musique avance aussi vite qu’elle le pourrait. […] Pourtant la techno est à la mode depuis des années…” Paula Temple acquiesce, et poursuit : “Depuis quinze ans, on observe une certaine stagnation. Il n’y a pas eu d’évolution flagrante, mais il y a toujours du potentiel, grâce aux nouvelles technologies notamment.”
Encore underground ou déjà mainstream ?
La techno s’est démocratisée, aucun doute là dessus. Mais peut-on aller jusqu’à affirmer qu’elle est devenue mainstream ? Pour le journaliste Oliver Lamm, “l’underground n’a plus d’idéologie aujourd’hui […] et la techno n’a plus de répercussions sociales. » Signe de sa sortie de l’underground, la techno, jadis marginale, est devenue un véritable business.
L’archétype, c’en est bien sûr Berlin. Paula Temple, productrice anglaise d’origine, et berlinoise d’adoption, a vécu de près la transformation de la capitale allemande en business de la techno. Pourtant, elle ne s’insurge pas contre cet état de fait.
Elle s’empresse plutôt, enjouée et concentrée, de rappeler que le vrai changement vient des micro-cultures que la techno a engendrées, comme “les cultures queer ou féministes liées à la cette musique. […] » L’avenir de cette musique résiderait donc dans ces franges encore émergentes. Le jeune label de Paula Temple d’ailleurs, Noise Manifesto, s’emploie à recruter autant d’hommes que de femmes, et queer de préférence.
« Une autre chose qui n’a pas changé dans la techno, termine la « noisician » anglaise, c’est la prévalence de la domination masculine”. Pourvu que l’on n’ait pas à entendre 2025 pour que ce problème s’éclipse.
La techno, musique de vieux ?
Il a contribué à son développement, et aujourd’hui, il souhaite son déclin. Laurent Garnier ne dissimule pas sa volonté de voir émerger une nouvelle musique qui vienne changer la donne et lui filer de frissons inconnus, comme la techno l’a fait il y a des années.
Non pas qu’il soit lassé du chant des BPM, ne nous méprenons-pas. Mais le producteur aimerait vraiment comprendre pourquoi les jeunes écoutent de la techno : « Non mais sérieusement, pourquoi ? Ce sont vos parents qui écoutaient de la techno, ou les amis de vos parents ! Je trouve ça fou que vous, les jeunes, écoutiez encore de la techno ! […] Pour l’avenir, j’aimerais que quelque chose de révolutionnaire se passe ! Et j’espère que mes gamins n’écouteront pas de techno ! »
Le DJ a fait danser avec un enthousiasme intact deux générations, qu’il s’amuse ensuite à comparer avec beaucoup de bienveillance : « Je trouve que la nouvelle génération, celle des 15-30 ans, est plus ouverte que la précédente, que celle des parents ! » On peut sans ambage remercier les Internets pour cela.
En revanche Laurent ne remercie pas les Internets d’avoir modifié le comportement sur le dancefloor, trop connecté à ses yeux. Aux premières loges de la mutation vers le smartphone prothétique, Laurent Garnier déplore, et fait l’unanimité auprès des intervenants, cette évolution comportementale. Et rappelle : « On oublie souvent de s’abandonner, alors que le dancefloor, c’est avant tout un lieu d’abandon. »
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C’est alors que le débat s’est provisoirement mis à tourner autour de la question des Internets, aussi actuelle que prospective. Haro sur l’Internet !, pour avoir créé des dancefloors trop connectés, mais aussi pour avoir dissout la notion même d’Underground. Le marginal, l’abscons et l’avant-garde, comme l’a été la techno, ne peut survire dans un monde dominé par l’ouverture et le partage immédiat des connaissances, valeurs fondatrices de l’Internet.
Pour Laurent Garnier, et pour la faire courte, « l’underground a du souci à se faire avec l’Internet. » Oliver Lamm, quant à lui, est toujours « à la recherche de l’inouï, au sens littéral. […] Mais aujourd’hui, l’inouï ne dure même pas une demi-année. »
« Que peut la musique pour ce présent tourmenté ? »
Le journaliste et modérateur David Brun-Lambert pose alors aux invités une question inquiète et nécessaire : « Que peut encore la musique pour ce présent tourmenté ? ». La techno peut-elle encore créer du lien social, et soyons-fous, palier la morosité ambiante ?
Oui, pour Pierre Marie Oullion, programmateur du festival les Nuits sonores. Citant pour l’occasion son comparse Vincent Carry, le président du même festival, le programmateur pointe l’urgence de reconsidérer « La culture comme arme de reconstruction massive ». Il faut plus que jamais parier sur la musique, solide tissu social des heures troublées. L’assemblée dodeline de la tête en guise d’agrément.
Tous s’accordent donc à dire que la techno, reste, en 2015, un vecteur fondamental de rassemblement, même si les messages politiques et sociaux sont (trop) souvent passés à la trappe. Adrien Berta, de l’équipe de Surpr!ze, ajoute que la techno, pour survivre, « devra être plus sociale et plus décomplexée. »
Puis, à quelques encablures de la fin de la conférence, Olivier Lamm vient casser l’ambiance avec un très dramatique « on nous a volé notre futur ». Ah bon ? Le journaliste explicite : « Avant on avait de l’espoir. Aujourd’hui, penser le monde dans dix ans, c’est envisager le changement climatique, les explosions démographiques, et tout plein d’autres choses effrayantes. […] Il faudrait une nouvelle idéologie, et dans son sillon, de nouvelles formes d’expression artistique. »
Paula Temple réprouve la prophétie du journaliste, et explique : « Je comprends qu’on puisse penser que l’on nous a volé notre futur. C’est assez frustrant, parce qu’on a toutes les technologies à disposition pour créer de nouvelles formes d’expression artistiques, mais pour le moment, rien ne se passe. » Et de conclure, sereine : « Pourtant, les réponses sont sous nos yeux. »
Par Sophia Salhi pour Traxmag