J’ai merdé : le jour où j’ai décidé de bosser dans la musique
Par Patrick Lyons, le octobre 7, 2016
On a tous déjà voulu devenir chanteur ou musicien – enfin, sauf si vous étudiiez le latin et le grec au lycée. Pour ce faire rien, rien de plus simple à première vue. Il n’y a qu’à prendre l’exemple de Justin Bieber, un mec pas beaucoup plus talentueux que la plupart des finalistes de la Nouvelle Star version US. Sauf qu’au final, les gens qui rêvent d’intégrer le « milieu de la musique » finissent dans l’ombre des chanteurs – ce qui, en soi, n’est absolument pas grave.
Comme le rappelle le personnage incarné par David Herman dans 35 heures, c’est déjà trop, personne n’a l’ambition d’accéder au job de ses rêves. Sinon, « il n’y aurait pas de concierge » sur notre planète, rappelle-t-il. En ce qui me concerne, je me suis lancé dans ce milieu car j’adorais me rendre à des concerts et écrire. C’est sans doute pour ça que j’ai fini par bosser comme critique musical.
Trois ans plus tard, je ne suis encore qu’un débutant. Pour comprendre qui sont tous les gars qui m’entourent, toutes ces femmes qui bossent dans la musique sans être sur scène, j’ai contacté cinq vétérans dont les CV s’étalent sur des dizaines de pages, format A4 : une ingénieure du son, un tour manager, une productrice, un roadie et un journaliste musical.
Tous ces gens ont la soixantaine et ont passé la majeure partie de leur vie à enregistrer, organiser ou à écrire sur la musique. Quand certains ont débuté leur carrière comme musicien d’autres ont été inspirés par des documentaires ou des remarques sexistes. Je les ai contactés afin de leur demander pourquoi ils s’étaient lancés, quitte à ne rien gagner.
Susan Rogers, ancienne ingénieure du son de Prince. Professeure au Berklee College of Music
« Comme beaucoup d’autres enfants sur Terre, mes parents voulaient que je joue d’un instrument. J’ai pris des cours de piano pendant deux ans, mais je n’étais pas très douée. Par contre, j’adorais écouter de la musique. À l’image de nombreux ingénieurs du son, j’étais faite pour écouter et non pour composer. J’adorais James Brown, Sly Stone, Stevie Wonder et Al Green.
Quand j’étais petite, je ne pouvais m’empêcher de fixer pendant de longues minutes les albums où le dos de la pochette laissait apparaître le studio. J’étais focalisée sur les ingénieurs du son, même si je n’y connaissais rien. Au fond de moi je me disais : « Ça a l’air cool, je crois que j’aimerais bien faire ça. »
J’ai emménagé avec une amie à Hollywood quand j’avais 21 ans et j’ai alors essayé de me lancer dans le milieu. À l’époque, il y avait très peu de femmes ingénieures du son. J’ai donc dû emprunter un chemin assez sinueux. J’ai été embauchée comme stagiaire et j’ai appris à réparer les consoles. À partir de là, j’étais lancée.
À l’été 1983, l’un de mes ex m’a appelée et m’a dit : « Le job de tes rêves t’attend. Ça te dirait d’être l’ingé son de Prince ? » C’était le plus grand rêve de ma vie, je ne pouvais pas espérer mieux. Alors j’ai postulé, j’ai passé un entretien et ils m’ont embauchée. À ce moment-là, ça faisait déjà cinq ans que j’étais dans le milieu et j’avais toutes les compétences requises. J’avais été formée par des gens très respectés et, plus important encore, Prince et moi écoutions la même musique depuis que nous étions gamins. Je connaissais Sylvester, The Gap Band et les membres de Parliament. J’avais baigné dedans depuis toute petite. »
David Libert, ancien tour manager d’Alice Cooper, ancien manager de Parliament, des Runaways et de Living Colour
« Quand j’étais jeune, je traînais avec des gars de ma ville natale de Patterson, dans le New Jersey. On chantait sur les parkings des restaurants parce qu’on pensait que c’était une bonne technique pour se taper des filles. On a vite compris qu’on n’était pas trop mauvais, alors on a pris tout ça au sérieux et on a formé un groupe : The Happenings. C’est à ce moment-là que je me suis dit que nous devions aller jusqu’au bout.
Patterson est juste à côté de New York, il m’était donc facile d’aller vers Broadway pour trouver du travail. Je m’adaptais à toutes les situations. Si j’allais voir un éditeur, je lui disais que j’étais écrivain. Si c’était un label, j’étais dans un groupe. On a réussi à obtenir un contrat et c’est comme ça que j’ai fait mes premiers pas dans l’industrie musicale.
On a viré notre manager parce qu’il ne faisait que de la merde, et j’ai pris sa place. J’ai rapidement capté que j’étais bien meilleur manager que musicien. J’en ai profité pour apprendre et accumulé de l’expérience. C’était un choix mûrement réfléchi.
Après avoir quitté le groupe, j’ai bossé pour des groupes locaux. Je m’occupais de les programmer dans des clubs de Long Island. Par la suite, je suis devenu le tour manager de Rare Earth puis d’Alice Cooper. Sous la tutelle de son manager Shep Gordon, j’ai appris beaucoup de choses. Il m’a donné des conseils pour que je puisse ouvrir ma propre agence afin de représenter Parliament, Bootsy’s Rubber Band, les Runaways puis d’être le manager de George Clinton, Vanilla Fudge, Living Colour, et Sheila E.
Je ne connais pas beaucoup d’autres musiciens amateurs qui ont privilégié la gestion à la scène. Je pense que la plupart d’entre eux ont trouvé un boulot dans une maison de disques – du coup, ils restent assez proches du côté artistique de la profession. À mes yeux, je bosse aussi dans la partie créative du milieu. J’ai chanté sur des chansons d’Alice Cooper et j’ai même joué du piano et du synthé sur quelques enregistrements. »
Gail Davies, chanteuse, auteure, productrice
« J’ai su très tôt que je voulais devenir chanteuse. Je baigne dans la musique depuis toute petite [Gail Davies est la fille du chanteur de country Tex Dickerson] et j’ai toujours voulu bosser là-dedans. J’avais déjà tout prévu : je voulais être chanteuse puis, plus tard, compositrice et auteure.
À la fin du lycée, j’ai emménagé à Los Angeles et j’ai fini par travailler chez A&M Records en faisant les chœurs sur certains morceaux. J’ai même été invitée lors d’un enregistrement de John Lennon. J’ai pu m’assoir entre lui et Phil Spector.
Après ça, je me suis tournée vers la production lorsque le producteur Henry Lewy m’a dit : « Tu as un certain talent pour dénicher des artistes, je pense que tu devrais devenir productrice. » Puis j’ai commencé à écrire des chansons. J’ai finalement signé un contrat avec EMI.
Quelques années plus tard, j’ai pris la direction de Nashville, j’ai sorti mon premier album solo, mais ça s’est très mal passé avec le producteur. Au cours d’un enregistrement avec mon groupe, il m’a dit : « Je ne pense pas que ces gars veulent qu’une femme leur dise ce qu’ils doivent faire. » Vous savez, on était en 1977, et à Nashville. À partir de cette date, je n’ai plus jamais bossé avec un quelconque producteur. »
Jan Michael Alejandro, ancien roadie pour David Bowie, Jackson Browne, Todd Rundgren, Blondie
« Je me suis vraiment décidé à partir sur les routes au lycée lorsque j’ai vu le documentaire Mad Dogs & Englishmen dans un drive-in de Palm Springs. Joe Cocker, Leon Russell et tous les autres se déplaçaient de ville en ville dans un vieil avion à turbopropulseurs et je me suis dit : « OK, c’est ça que je veux faire. »
Deux ans plus tard, j’ai tracé à San Francisco pour un job de gardien de nuit dans un studio d’enregistrement. À la fin, j’étais le chauffeur pour le studio. J’ai fait ça pendant quelque temps, puis j’ai bossé à la gestion des studios.
Nos clients étaient des artistes que j’écoutais – Tower of Power, The Doobie Brothers, Santana, Country Joe & the Fish – alors évidemment j’aimais ça. Je jouais déjà du piano, je m’y connaissais un peu en musique. Un jour, un gars avec qui je bossais m’a dit : « Tu sais, tu as beaucoup de talent. Tu ne devrais jamais t’arrêter d’apprendre et tu devrais dire aux mecs que tu croises que tu aimerais partir en tournée. »
En fin de compte, j’ai emménagé à Los Angles et j’ai été au chômage jusqu’à ce que des gars bossant pour David Bowie m’appellent. Je les avais déjà croisés dans des studios par le passé. Ils se souvenaient de moi et m’ont demandé si je voulais les rencontrer à Toronto pour être pianiste pour Iggy Pop, qui était alors en tournée avec Bowie. Je n’ai pas hésité, je suis parti au Canada et tout a commencé comme ça. J’ai travaillé pour Bowie pendant trois ans, j’ai fait le Heroes Tour et après ça j’ai eu plein de boulots géniaux – Todd Rundgren, Jackson Browne, Blondie.
J’ai fini par monter ma propre agence avec ma femme et ça fonctionne encore 34 ans plus tard. Aujourd’hui, on travaille pour les Rolling Stones, Lady Gaga et Coldplay. J’ai encore des appels, et ça fait plaisir. »
Joe Selvi, journaliste musical pour le San Francisco Chronicle de 1972 à 2009
« J’ai quitté l’université de Berkeley pour bosser pour le San Francisco Chronicle en 1967. Peu de temps après, j’ai découvert que je pouvais me rendre à pas mal de concerts gratuitement car je bossais pour un journal. C’est là que j’ai décidé de me lancer dans le journalisme musical.
Je ne trouvais aucun intérêt à parler aux flics, aux mecs dont la femme a été assassinée, de sport ou d’économie. Non, je me voyais juste écrire des papiers sur des groupes de rock.
Peu de temps après, j’ai repris le chemin de la fac et j’ai bossé pour le journal interne. C’est à cette époque-là que des vinyles gratuits ont commencé à arriver dans ma boîte aux lettres. Tout est parti de là. J’avais accès aux concerts gratuitement et je recevais des vinyles gratuitement – que demander de plus ? Des thunes, peut-être ?
Il n’y avait pas que des avantages mais je n’avais pas énormément de travail non plus. La partie la plus dure du job consistait à me rendre à des concerts auxquels je n’avais pas envie d’assister et à ne pas être trop bourré pour réussir à pondre un semblant d’article le lendemain.
Ai-je déjà pensé à faire partie d’un groupe au lieu de travailler dans la presse ? Jamais de la vie. Je faisais exactement ce que je voulais : j’allais à des concerts avec mon carnet et mon crayon et j’étais le gars qui livrait des critiques impertinentes le lendemain. »
Patrick est sur Twitter.
http://www.vice.com/fr/read/bosser-dans-la-musique-industrie