Robert Hood : D’Underground Resistance à Floorplan: Portrait d’un visionnaire.
Ancien membre du collectif Underground Resistance et pionnier de la techno minimale de Detroit, Robert Hood n’a eu de cesse de produire des pépites 4/4 au cours de sa carrière longue de 25 ans. Il revient avec un nouvel album sous son alias Floorplan et repasse derrière les platines désormais accompagné par sa fille. Portrait d’un visionnaire.
Publié sur Greenroom par Manon Chollot le 31-05-2016
Bobby’n the hood
Lorsque l’on pense à Detroit, des images d’usines en friche nous viennent rapidement à l’esprit. Il faut dire que l’histoire de cette ville n’est pas des plus faciles : après que des émeutes raciales aient éclaté au milieu des années 60, la majorité de la population blanche décide de quitter le centre-ville, laissant l’économie en berne. Autant dire qu’être élevé dans la Motor City aurait pu être une étape compliquée pour Robert Hood. Mais déjà, la musique allait le guider.
Élevé par un père qui jouait du piano, de la trompette et de la batterie et une mère chanteuse de rhythm’n’blues, le jeune Bobby baigne depuis son plus jeune âge dans le jazz, la soul de Marvin Gaye, Curtis Mayfield et Isaac Hayes et les productions de la célèbre Motown fondée par Berry Gordy, un cousin éloigné de la famille Hood. Dès la fin des années 80, Hood décide de s’intéresser d’autant plus à la musique qu’il commence à en produire de son côté, tout en s’inventant DJ. Véritable boulimique, il aiguise ses connaissances et passe ses journées à digger et à enregistrer un maximum d’informations. « Chaque musique que j’entendais, je la reconnaissais instantanément. Je vérifiais combien il y avait d’instruments sur chaque morceau, je lisais les crédits pour voir qui jouait, j’étais obsédé en quelque sorte ».
Le néo-DJ commence également à s’intéresser à la petite révolution musicale en train de s’opérer dans sa bourgade : la naissance d’un genre nouveau, la techno, initiée sous l’impulsion d’une bande de joyeux lurons dès le milieu des années 80. Ces pionniers du genre, ce sont Juan Atkins, Derrick May, Kevin Saunderson, Eddie Fowlkes. « Dès 1990-1991, j’ai commencé à produire un peu plus et à enregistrer des démos. Je me suis acheté une drum machine et un Roland TR505 dans une boutique de prêteur sur gages et j’ai commencé à faire des beats. J’allais dans un studio que je payais 15 dollars de l’heure et j’ai rencontré grâce à ma petite amie de l’époque un type appelé Mike Clark qui connaissait tout le monde ».
Clark aka Agent X lui présente toute la nouvelle génération de DJs et la seconde vague de producteurs techno locaux, dont Mike Banks et Jeff Mills, pour qui Hood produit deux morceaux en tant que MC. Les trois camarades fraîchement rencontrés s’entendent alors si bien qu’ils décident de continuer l’aventure ensemble.
UR.Evolution
Cette rencontre tombe à point nommé puisque Mike ‘Mad’ Banks et Jeff Mills viennent de monter un collectif doublé d’un label de musique majoritairement composé d’artistes afro-américains. Leur manifeste est pour le moins équivoque : se servir de la musique techno pour abattre les frontières raciales et combattre les inégalités. « Underground Resistance est le label d’un mouvement. Un mouvement qui veut le changement par la révolution sonore. Nous vous exhortons à rejoindre la Résistance et à nous aider à combattre la médiocrité des programmations sonores et visuelles destinées aux habitants de la Terre. Ces programmations entretiennent la stagnation des esprits, édifient un mur entre les races et s’opposent à la paix mondiale. C’est ce mur que nous allons détruire. »
Séduit par l’idée, Robert Hood rejoint le collectif et en devient rapidement un acteur majeur. Il se transforme pour l’occasion en DJ « Noise », UR préférant mettre en avant la production musicale à l’individualité des DJs. La notion d’anonymat est ainsi assumée et assurée grâce à des pseudonymes, des masques et de rares apparitions dans les médias. D’un point de vue créatif, le collectif révolutionne la techno originelle de Detroit, glissant dans ses productions des éléments acid et industriels.
Dans son coin, Robert Hood continue de collaborer avec son comparse Jeff Mills avec qui il monte les projets X-101, X-102 et H&M. « Après que nous ayons entamé le projet X-102, Jeff et moi-même avons commencé à bifurquer et avons lancé Axis. C’était un son plus abstrait, plus house, différent de la techno expérimentale de UR. C’était un son plus terre à terre. » Hood décide pourtant de prendre son envol en solitaire dès 1992. Il quitte UR en compagnie de Jeff Mills et commence à produire ses propres sons de son côté, fondant au passage son propre label : M-Plant.
Un style minimaliste
Robert Hood souhaite, dès son départ de Underground Resistance, changer radicalement la face de la techno de Detroit. Une révolution qui ne tardera pas à arriver avec deux disques sortis de manière consécutive en 1994 : Internal Empire qui sort sur le label berlinois Tresor et Minimal Nation, sorti sur Axis, le label de son ami Jeff Mills. Pierres angulaires de cette nouvelle identité de Hood en solitaire, les deux albums – devenus des classiques – permettent à l’enfant de Detroit d’affirmer ses envies et de poser les bases d’un nouveau genre.
À une techno dure et violente, Hood préfère en effet une techno infusée dans la soul et teintée de minimalisme. De ses expérimentations sonores sortira donc ce nouveau genre, la techno minimale, dont il est considéré comme le créateur. « Cela empruntait beaucoup au son que j’utilisais chez Axis, que j’ai ensuite fait évoluer. J’ai développé ce son ‘gris’ – ce que j’entends par là c’est qu’à Detroit, même lorsque le soleil est levé, il y a quelque chose dans l’atmosphère. Je ne sais pas si c’est de la pollution ou quelque chose comme cela mais il y a toujours ce brouillard gris dans le ciel. Cela doit provenir des usines. Je n’avais jamais entendu un son qui pouvait exprimer cela et c’est venu d’un Roland Juno – des accords qui allaient de pair avec la représentation que je me faisais de Detroit à l’époque. Beaucoup de buildings étaient abandonnés et la ville souffrait d’une certaine atonie, surtout dans le centre. M-Plant, dans son minimaliste, reflète cela. Je me souviens de Detroit comme d’un musée, comme une pièce artistique suspendue dans le temps. »
Avec M-Plant, il se concentre donc sur l’essentiel, selon lui : « Un son de base agressif avec quelques caisses, des basses et un groove funky : l’essentiel pour faire danser les gens. J’en ai fait en quelque sorte ma science, l’art de faire bouger le popotin des gens, de toucher la corde sensible. C’est un son techno rythmé et sensible. »
« Never Grow Old »
Depuis sa création, c’est sur M-Plant que Robert Hood sort la majorité de ses productions solo, malgré quelques écarts en 2002 et 2003 – Point Blank et Wire to Wire sortent sur Peacefrog – et 2013 – Motor: Nighttime World, Vol. 3 sort sur Music Man. Devenu l’une des figures les plus respectées de la scène électronique avec deux décennies d’activité, il tourne dans le monde entier, faisant des escales par les clubs les plus réputés. Il a su réinventer son « son » minimal, entraînant dans son sillon toute une génération de producteurs.
Pour autant, Hood n’a pas laissé tomber le côté « dansant » de la musique électronique et a su revenir à ses premières amours, écoutées dans sa maison d’enfance : les voix black, la soul… Avec Nighttime World, vol 1 sorti en 1995 sur Cheap Records, il commence à introduire ces éléments dans sa musique, dès 1996, c’est sous un nouvel alias, Floorplan, qu’il nous gratifie de ses productions aux confins de la house et du disco. C’est avec le nom Floorplan qu’il signera en 2013 sur son album Paradise, un titre devenu déjà un classique : « Never Grow Old », comme un digne postulat assumé de son statut de producteur toujours aussi puissant.
Sur Victorious, le deuxième album de Floorplan, Hood a également décidé que la techno était une affaire de famille puisque sa fille Lyric (ça ne s’invente pas) l’accompagne désormais derrière les platines. « Elle apporte le sel, moi le poivre. Alors nous mixons le tout. Son laboratoire est dans sa chambre et moi j’ai un studio de l’autre côté de la maison. Alors je lui dis d’aller dans son labo et de créer, et je vais dans le mien et je fais de même. Et on compare. C’est assez fou comme on se complète. Elle est une enfant de la house mais elle a aussi grandi avec James Brown, Michael Jackson, Prince, la musique et le jazz. Elle a une sensibilité plutôt old-school ». La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre.